La tenue en Afrique d’un procès visant un ancien dirigeant africain est toujours un évènement important et peut parfois donner lieu à des questions et des débats juridiques inédits.
Ce fut précisément le cas pour l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, actuellement exilé en Côte d’Ivoire à la suite de son éviction du pouvoir en 2014, qui a été jugé par contumace par le tribunal militaire de Ouagadougou.
Aux côtés de plusieurs anciens responsables du régime compaoriste, Blaise Compaoré était poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’Etat et complicité dans l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara dans le cadre des évènements l’ayant mené au pouvoir en 1987. Son procès, dont le verdict a finalement été prononcé le 6 avril dernier, aura duré presque six mois.
D’un point de vue juridique, le procès Sankara a été marqué par une suspension d’audience, prononcée à l’occasion de l’examen d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par les avocats de la défense en mars dernier. Une question peu courante a été posée au Conseil Constitutionnel du Burkina Faso, puisqu’elle tenait à la légalisation implicite d’un coup d’Etat.
En effet, les avocats de Blaise Compaoré et de ses co-accusés ont mis en avant le fait qu’en janvier 2022, un coup d’état, dont les conséquences ont été reconnues comme valables par le Conseil Constitutionnel, avait porté un nouveau Président au pouvoir au Burkina Faso.
Dès lors, ils estimaient que la dévolution par le Conseil Constitutionnel burkinabé, dans sa décision n° 2022-004/CC du 8 février 2022, des fonctions de président à Monsieur Paul Henri Sandaogo Damiba, militaire à l’origine du changement de régime, valait consécration « de la prise de pouvoir par la force comme un mode constitutionnel de dévolution du pouvoir », rendant les articles 313-1 et 313-2 du code pénal relatifs à l’atteinte à la sûreté de l’Etat contraires à la Constitution et consacrant l’inexistence de ces infractions. La défense estimait ainsi que cette reconnaissance avait pour effet de légaliser les faits pour lesquels Blaise Compaoré était poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a accepté d’examiner ce recours et a justifié en droit l’inapplication de la constitution burkinabé en vigueur en janvier 2022 ainsi que la consécration du Président Dambia en érigeant un acte adopté par les forces à l’origine du changement de régime au rang constitutionnel, le qualifiant de « norme de référence en complément de la Constitution ».
Le Conseil a ainsi considéré qu’en rendant la décision du 8 février 2022, il s’est inscrit « dans ses missions de régulation du fonctionnement des institutions de l’Etat, mais aussi d’application et d’interprétation de la Constitution dans sa lettre et dans son esprit, dans un contexte où le Burkina Faso n’a pas la maitrise de ses limites territoriales ni la fixité de sa population ». Il a estimé « que la décision n° 2022-004/CC du 8 février 2022 ne saurait par conséquent être légitimement être assimilée à un mode constitutionnel d’accès aux fonctions de Président du Faso ». Le Conseil Constitutionnel conclut en jugeant que les articles relatifs à l’atteinte à la sûreté de l’Etat demeurent donc en vigueur au Burkina Faso.
Cette décision du Conseil Constitutionnel a permis au procès de l’ancien Chef de l’Etat de reprendre et alors que le Ministère Public avait demandé la condamnation de Blaise Compaoré à 30 ans de réclusion, ce dernier a finalement été condamné par contumace à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Références :
- Décision n° 2022-004/CC du 8 février 2022 du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso.
Rédigé par Ali Bougrine et Victor Arnould